Développements asymptotiques


Cette annexe est destinée aux étudiants qui ont déja une connaissance de base en mécanique.
Vous y trouverez des remarques qui sont destinées à remettre le lecteur en question, dans le but de le préparer au métier de chercheur, dans les disciplines des sciences de l'ingénieur.
Quand on cherche à résoudre des problèmes de mecanique, on est vite démuni, car beaucoup de problèmes sont non linéaires.
On ne dispose alors que de très peu de théorèmes mathématiques, qui permettent de construire une solution de ces problèmes.
Le physicien ne se décourage pas pour autant, car il désire au moins comprendre les phénomènes décrits par les équations, sans nécessairement pouvoir construire des solutions exactes !
C'est pourquoi il développe des techniques, que l'on désigne souvent par le terme "art de l'ingénieur"
Ces techniques sont souvent formelles et injustifiables, dans un cadre mathématique standard.
Elles ont cependant permis de faire avancer le domaine des sciences appliquées, d'une manière significative.
Cet absence de justifications peut conduire à des querelles d'école, à des controverses, à des discussions stériles... Mais on ne peut pas aborder la recherche dans les sciences physiques pour l'ingénieur, en les ignorant.
Les méthodes asymptotiques font partie de ces techniques.
Elles consistent à remplacer un problème qui contient un petit paramètre scalaire, par un problème plus simple, pour lequel on peut espérer construire des solutions.
Je commence par la définition de ce que l'on appelle un développement asymptotique d'une fonction de epsilon, relativement à une suite de fonctions de comparaison (encore appelée suite de fonctions de jauge)
Une suite de fonction de jauge, est une suite d(i) de fonctions de epsilon, décroissante pour la relation d'ordre o
Je rappelle la définition de la relation petit o de Landau, pour la comparaison de 2 fonctions f(epsilon) et g(epsilon), au voisinage de epsilon = 0 :
ON dit que f est petit o de g (et l'on écrit f=o(g)) quand la limite du rapport f/g est nulle, quand epsilon tend vers zéro
ON dit aussi que f est petit devant g , au voisinage de zéro.
Il faut remarquer que la relation petit o n'est pas une relation d'ordre total sur l'ensemble des fonctions de epsilon.
ON ne confondra pas le symbole petit o de Landau, avec le symbole grand O
ON rappelle en effet que f=O(g) par définition, quand le rapport f/g est borné quand epsilon tend vers zéro.
On ne demande pas, dans la définition ci-dessus, que la limite du rapport f/g existe, quand epsilon tend vers zéro.
Par exemple on peut écrire que epsilon * sin(1/epsilon)=O(epsilon) au voisinage de 0, bien que sin(1/epsilon) n'ait pas de limite quand epsilon tend vers 0
La relation O est une relation d'équivalence sur l'ensemble des fonctions de epsilon
Quand f=O(g) on dit aussi que f et g sont du même ordre de grandeur, au voisinage de zéro.
Les notions d'ordre de grandeur sont très importantes pour le physicien, quand il cherche à évaluer les termes prépondérants, pour dégager les effets qu'ils produiront en première analyse.
La construction du développement asymptotique de f(epsilon), relativement à la suite de fonctions d(1), d(2)... de epsilon est, par définition :
f(epsilon) = f(1) * d(1) + f(2) * d(2)...
où f(1) = lim(f/d(1)) quand epsilon tend vers zéro
f(2) = lim(f - f(1)*d(1))/d(2))...
F(1), f(2)... sont appellés le premier, le deuxième terme... du développement asymptotique de f, par rapport à la suite d(i)
On remarque que les termes du développement sont uniques et déterminés de proche en proche, par les limites indiquées, quand celles-ci existent.
Il faut bien insister sur ce point :
Le développement asymptotique, par rapport à une suite de fonction de jauge n'existe pas nécessairement.
Quand il existe, il est unique, mais bien sûr, les coefficients f(1), f(2)... dépendent du choix de la suite d(i)
Cette remarque évidente ne doit pas être oubliée, quand on se propose de rechercher la solution d'un problème, sous la forme d'un développement asymptotique, par rapport à un petit paramètre epsilon, qui figure dans les équations.
Il faut en effet commencer par choisir une suite de fonctions de jauge, et ce choix est une des grandes difficultés, en l'absence de théorèmes, qui permettraient de faciliter les choix possibles !
Pour être plus précis, je prends l'exemple de la recherche des racines d'un polynome de degré n d'une variable réelle x, dont les coefficients dépendent analytiquement d'un paramètre epsilon.
On peut essayer le choix de la suite de fonctions d(i) = epsilon puissance i, mais ce choix ne permettra pas d'approximer toutes les racines d'un tel polynome, car on sait bien, qu'il peut exister des racines qui ne sont pas développables en série entière de epsilon, comme le montre par exemple, l'équation x puissance 2 = epsilon
Fort heureusement, il existe pour ce problème, un théorème, démontré par Puiseux, qui s'énonce ainsi :
Toutes les racines d'un polynôme d'une variable réelle, dont les coefficients dépendent analytiquement de epsilon, sont développables sous la forme d'une série de Dirichlet
Une série de Dirichlet est un développement asymptotique, relativement à la suite de fonctions d(i) = epsilon puissance (r(i)) où les r(i) sont des nombres rationnels, positifs, négatifs, ou nuls
Le théorème de Puiseux est remarquable, mais n'est malheureusement pas très connu !
Ce type de théorème reste une exception pour les problèmes non linéaires, et tout l'art de l'ingénieur, sera de trouver au mieux la forme du développement qui conduira à une approximation significative.
Vous avez certainement rencontré dans votre formation de mécanicien, des exemples de tels choix particulièrement réussi.
Les équations de la couche limite, telles qu'elles ont été introduites par Prandlt, sont un bel exemple d'un choix particulièrement réussi.
Il est possible de justifier certain choix, par des principes de plus ou moins grande dégénérescence des équations, mais c'est souvent le génie du chercheur, qui conduit au bon choix.
On pourrait citer de nombreux scientifiques à qui l'on doit beaucoup, comme Poincaré, Boussinesq, Lighthill... dans des domaines aussi variés que la mécanique céleste, les phénomènes de vibrations non linéaires, les liquides conducteurs de la chaleur, les fluides pesants...
Dans les problèmes concrets, la mise en équation ne fait pas apparaître spontanément de petit paramètre.
On fait apparaître celui-ci, un peu artificiellement, à partir des grandeurs qui caractèrisent le phénomène étudié.
On peut utiliser l'adimensionalisation des équations, pour faire apparaître des groupement sans dimension, conformément au théorème pi
Mais rappelons que ce résultat de l'adimensionalisation, dépend du choix des échelles de comparaison, qui n'est pas unique, mais simplement guidé par le sens physique que l'on a, sur le phénomène.
Quand on a obtenu les équations adimensionnées, il faut ensuite faire apparaître un seul petit paramètre, déduit à partir des nombres sans dimension.
Je rappelle, en effet, que l'on ne sait pas construire de développement asymptotique, par rapport à plusieurs petits paramètres !
Enfin, il reste à postuler la forme du premier terme des développements asymptotiques des fonctions inconnues.
Prenons comme exemple, les équations de Navier Stokes, pour les écoulements instationnaires à faible nombre de Reynolds.
Elles s'écrivent :
dV/dt + (V.grad)V = -grad(p) + 1/epsilon * delta(V)
Vous rechercherez comment obtenir, comme premier terme du développement asymptotique par rapport à epsilon, les équations instationnaires de Stokes, dans lesquels le terme convectif (V.grad)V ne figure plus.
Quand on recherche les coefficients (ou termes successifs) du développement asymptotique formel, pour la solution d'un système d'équations aux dérivées partielles, ces coefficients sont des fonctions des variables indépendantes du problème, qui doivent être bornées par rapport à l'ensemble de ces variables, pour que l'approximation asymptotique garde un sens.
S'il advient qu'un de ces coefficient ne soit pas borné au voisinage d'un point, on dira que le développement n'est pas uniformément valable, en tout point.
Il faudra alors remettre en question la forme de ce développement !
Ceci peut arriver à une étape du développement, qui peut être autre que la première.
On arrive parfois à démontrer que le reste d'ordre i est uniformément borné, mais cela demande en général un certain effort.
Sinon, on parle de développement asymptotique formel, et son inttérêt ne sera prouvé, que par les applications que l'on peut en faire.
On peut par exemple, essayer de se servir des premiers termes d'un développement, pour accélérer la convergence d'un algorythme numérique, dans le calcul d'une solution approchée du problème.
Il ne faut pas confondre un développement asymptotique avec la notion de série.
Il peut arriver qu'un développement asymptotique puisse être defini quelque soit i, et que la série qu'il définit soit convergeante.
Ce n'est en général pas le cas.
La construction des n premiers termes d'un développement asymptotique, sert pour proposer une approximation formelle, dont le reste est petit o(d(n+1)) ON se contente souvent de quelques termes du développement asymptotique de la solution d'un problème, car, lorsque la série asymptotique est divergeante, il existe un nombre de termes optimum, pour l'approximation.
J'insiste encore, en soulignant que pour une série convergeante, son reste d'ordre n tend vers zéro quand n augmente indéfiniment, tandis que pour un développement asymptotique, son reste d'ordre n tend vers zéro comme d(n+1) quand epsilon tend vers zéro.
Je termine ces remarques, en disant qu'il ne faut pas croire, que les méthodes asymptotiques peuvent toujours conduire à des problèmes plus simples que le problème initial.
Un chercheur confirmé comme Stewarson s'en est convaincu, quand il a cherché à étudier la solution de l'écoulement autour du bord de fuite d'une plaque plane, de longueur finie.
Dans un voisinage immédiat de ce bord de fuite, le couplage par gradient de pression singulier, montre qu'il faut résoudre les équations de Navier Stokes complètes, dans ce voisinage !
Un exemple encore plus parlant, est donné par la recherche des racines d'un polynôme, comme par exemple epsilon * p(x) = 0
Dans ce cas, comme epsilon disparaît de l'équation (par factorisation) il est évident que la recherche des racines de l'équation, est identique au problème non perturbé p(x) = 0
Vous trouverez dans certains cours de troisième cycle, des exemples de perturbations singulières, et des illustrations qui expliquent en détail, les difficultés rencontrées dans la construction effective de solutions approchées.
Vous découvrirez par exemple, la méthode des échelles multiples, introduite par Poincaré, pour traiter des problèmes qui font intervenir un temps rapide et un temps lent, les constructions de développements composites uniformément valables, qui permettent de raccorder plusieurs développements (comme les développements de Stokes et d'Oseen...)
Il est parfois facile de faire des commentaires rapides, avec les mains, pour expliquer certains phénomènes, sans faire de calculs, en tenant compte uniquement de l'ordre de grandeur de certains termes, dans les équations.
C'est le cas, pour expliquer la colonne de Taylor, qui accompagne le mouvement d'un obstacle, dans un fluide en grande rotation autour d'un axe fixe.
Mais, en général, on ne pourra pas se passer d'une certaine technique, souvent assez laborieuse.
Essayez par vous-même, de trouver l'approximation de Hele Shaw, pour l'écoulement d'un liquide visqueux classique, confiné entre 2 plaques parallèles.
ON sent bien que le confinement, doit conduire à une approximation qui doit ressembler à un écoulement plan, mais il y a bien plus !! Je vous laisse trouver pourquoi.
J'espère que cet appendice vous donnera le goût de la recherche, et je vous remercie de m'avoir lu jusqu'au bout.
N'hésitez pas à m'écrire.
J'essayerai de vous répondre, dans la mesure du possible.

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